je reviens sur Sylvain Tesson cet éternel écrivain voyageur qui a passé six mois dans une cabane près du lac Baïkal et qui nous dit:
Les Russes ont quelque chose que les Français n’ont plus : le sens du commun, le sens patriotique. Les Russes succombent moins aux sirènes de l’individualisme qui ont fait perdre chez nous ce sentiment d’appartenance à une société. C’est peut-être d’ailleurs parce que les Russes ont affronté la Grande Armée en 1812 qu’ils ont ressenti la nécessité de s’inventer un patriotisme. Ils ont une plus grande affection pour la scénographie de la vie : l’Histoire, la représentation politique, le faste… Ils ont moins ce sourire ironique que nous aimons tellement. Parfois, le sourire de Voltaire est l’incarnation absolue du rictus de l’intelligence. Parfois, c’est une grimace. Hélas… Ils ont beaucoup moins que nous l’impression d’avoir un destin universel et éternel. Nous souffrons d’un franco-centrisme incroyable. Il y aussi chez le Slave, sans verser dans les généralités de comptoir, un fatalisme, une acceptation des choses qui passent. Quelque chose qui vient peut-être de l’orthodoxie, quelque chose d’héraclitéen : nous vivons sur des pentes qui se désagrègent, il s’agit de se mouvoir dignement dans un monde incertain. C’est ce sentiment que les artistes aiment, que les Russes acceptent et que les politiciens français refusent.
Je me sens beaucoup plus proche d’un pêcheur du lac Baïkal – avec le rapport qu’il entretient à la nature, au temps, à une forme de rudesse – que d’un Français imbu de lui-même et citoyen du présent, indifférent à tout ce qui concerne son passé et préoccupé par tout ce qui à trait à son avenir. La différence est là : c’est une différence de positionnement par rapport au temps. Les Russes ne bazardent pas le passé. Les Français sont dans la détestation de tout ce qui les a précédés. L’Histoire n’est pas un petit séquençage dans lequel on ferait un droit d’inventaire.